• IRL

    Quand j’étais môme, chaque fois que j’avais du chagrin, je me réfugiais dans la nourriture. Un gâteau par ci, une sucrerie par là. Je me goinfrais sans savourer aucunement et m’enfermais dans cette démarche d’oubli que me procurait la nourriture.

    Cela avait commencé tôt. Très tôt. Déjà, lorsque j’étais nourrisson, je ne me consolais que la bouche emplie du sein de ma mère, ne trouvant mon repos que lorsque j’étais repu, au point que le lait ne demandait qu’à ressortir si l’on me penchait un peu. Je savais parfois me contenter de mon pouce, mais ça ne durait pas, bien vite j’hurlais à pleins poumons, jusqu’à même en avoir des taches noires devant les yeux.

    Quand j’ai grandi, j’ai gardé cette capacité de m’évader j’ai appris à lire, et me voyais tantôt héros d’un conte de fées, prêt à délivrer une belle princesse d’une forteresse d’ivoire, de jade ou … de pierre. J’ai souvent été aussi navigateur de l’espace, passionné, aventureux. J’étais, tout ce que mon corps, malmené par mon amour de la nourriture, ne me permettait pas d’être. J’étais beau aussi. Ça, c’était important d’être beau.

    Arriva l’adolescence… les boutons. Ces vils boutons, traitres parmi les traitres, ceux qui défiguraient mon visage bouffi par la graisse emmagasinée. Les furoncles et les points noirs. Mes cauchemars. Mais, j’ai trouvé la parade ! Je ne sortais plus, je ne vivais qu’à travers mon petit jouet, celui que mes parents m’avaient offert avec l’abonnement qui allait avec.

    Mon or-di-na-teur.

    Et là, plus de complexe, comme avec les livres, mais en mieux ! En face, la princesse était jouée elle aussi, l’histoire était réciproque, elle me contait des mots doux, je la comblais de bijoux ! Et puis un jour, on a décidé de se rencontrer, pour pouvoir s’aimer en vrai, ma douce Crystal et moi, son Romeo. Nous nous sommes donnés rendez-vous, dans un bar, châle noir pour elle, cravate rouge pour moi. Et je l’ai vue. Ou plutôt, je l’ai vu. Le physique semblable au mien, quelques années de plus (le double !), une barbe de trois jours, et un magnifique châle noir sur les épaules. J’ai défait ma cravate, l’ai soigneusement cachée au fond de ma poche et me suis enfoncé dans mon siège, contemplant ma tasse de café comme si elle était la septième merveille du monde.

    J’ai trouvé autre chose. Du café, je suis passé à la cigarette, de la cigarette, aux amphétamines, il fallait que je tienne, je m’accrochais à ces vies édulcorées, cocaïne, héroïne… douce héroïne dans son sachet de cristal… J’étais perdu, libre à mon idée, mais enfermé en vérité. Une prison d’évasion. L’idée fait peur, amenée ainsi. Aujourd’hui elle me fait sourire, la pensée même que je me sois laisser ainsi gagner par l’irréel va jusqu’à me faire rire. Mais à l’époque, rien ni personne n’aurait pu me le dire. J’avais choisi mes chaines, elles étaient incassables. Il a suffi d’une brèche.

    La panne.

    Pas une simple panne, non. La toile qui régissait ma vie, celle grâce à qui j’avais tous mes contacts, s’est brisée. Plus personne pour m’apporter mes doses d’évasions, le facteur, les livreurs me déposaient tout, je ne pouvais plus les joindre. J’ai dû sortir, marcher, avancer, sauf que je n’avais nulle adresse où aller, que je n’ai retrouvé personne, à part des gens qui vivaient.

    J’ai trouvé, enfin, ma liberté, c’est la vie !

     


    Ecrire un texte sur le thème de l'évasion dans son sens le plus large avec des mots obligés: espace, forteresse, chagrin, rire, noir.


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